"La
notion de théâtre chorégraphique proposée par Enrique Pardo et Linda
Wise fait éclater les textes dans des réseaux de gestes; le langage
devient partenaire dans l'image, et non plus dominante. Le paradoxe
prend le pas sur l'illustration: versions, subversions, voire perversions,
se succèdent dans un jeu de dissociations. Images complexes, dont la
voix recueille l'émotion.
Il
s'agit d'un travail poétique très rigoureux où la chorégraphie va à
l'encontre de la liberté émotive de l'acteur: elle casse, par le mouvement, l'identification
avec le texte. Cette contrainte de non-illustration
est source d'émotion tragique où la voix est libre de faire la moisson,
d'exprimer toute l'émotion de la contra-diction."
Le travail est comparé
parfois au travail au piano, mais un piano à trois mains, puisqu'il
implique un entraînement parallèle voix, langage et mouvement,
comment les associer et surtout comment les dissocier.
Notes par Enrique Pardo
"Théâtre chorégraphique" est l'étiquette qui cerne au plus près le travail que je propose (voisin d'autres étiquettes, telles "danse-théâtre", "théâtre corporel", "théâtre physique, d'image", etc...) La spécificité de ce choix tient à la synthèse et aux rapports paradoxaux entre mouvement, langage et voix.
Une importance fondamentale est donnée à la valeur des mots, mais sans que le texte ne soit placé en position dominante dans l'image théâtrale, sans que la mise en scène ne devienne une illustration interprétative du texte.
Le notion de chorégraphieest prise directement dans son acceptation de "graphie du chur" : lecture des rapports dans un ensemble , gestes, motifs et desseins/dessins relationnels entre les membres d'un groupe.
Elle n'éxige pas nécessairement de maîtrise particulère en danse ou en mouvement. Elle ne fait pas non plus appel à un style gestuel particulier, mais cherche plutôt les implications de ce qu'est "faire un geste", c'est-à-dire une qualité d'initiative, un sens de l'à propos narratif, un savoir faire psychologique voire mythologique. Etre sur scène c'est entrer en composition, prendre position dans une image. Cette prise de position est un parti pris à la fois physique et figuré.
Les disciplines de composition d'ensemble sont à la base de l'entraînement : le placement et le déplacement dans un ensemble (avec ou contre les autres.) L'usage du mot "chorégraphie" fait usuellement référence à une étude de la gestualité, en solo et en groupe, à une stylistique, à une théâtralité du geste. Ici, cette notion de geste est abordée d'abord dans le sens d'initiative: "faire un geste" (en anglais "to make a move": prendre une initiative), ce qui n'implique pas nécessairement un acte corporel ou un savoir-faire en mouvement. Cela dit, nous travaillerons aussi l'inventaire gestuel personnel (les ressources corporelles et de style propres à chacun) ainsi que l'artisanat du geste-mouvement.
"Prendre position dans une image" doit aussi (et surtout) être compris au sens figuré : faire un geste artistique c'est affirmer et risquer un commentaire, c'est proposer et/ou modifier une figure de style. Il y a donc choix esthétique, culturel, narratif, voire politique. Par ce biais l'on entre dans l'étude poétique et dans la lecture critique du geste artistique, qui se fait ici, dans un "théâtre chorégraphique", dans les "rapports paradoxaux entre mouvement, langage et voix."
La finalité de ce travail peut être résumée ainsi : " faire éclater les textes dans des réseaux de gestes; que le langage devienne partenaire dans l'image, et non plus dominante. Que le paradoxe prenne le pas sur l'illustration, pour que versions, subversions, voire perversions, se succèdent dans un jeu de dissociations. Images complexes, dont la voix recueille l'émotion. "
Il s'agit d'une approche pratique et poétique, artisanale et philosophique, où la rigueur chorégraphique va souvent à l'encontre et contre-dit le texte; elle déchire l'identification au premier degré entre l'acteur et son texte. Cette contrainte de non-illustration, cette façon de briser l'identification subjective avec le texte, est source d'émotion tragique. Le texte est le plus souvent vécu et donné en "contra-diction." Si le texte parle de joie, par exemple, la situation est peut-être déchirante de douleur. A l'acteur, par sa voix, d'en exprimer la richesse paradoxale. Comme dans la tragédie, seule la voix est libre. C'est parce qu'il peut articuler, donner voix à la contradiction, que le personnage tragique est héroïque. Il perd sur tous les autres plans, défait par la logique (ou le caprice) des dieux.